L’Etat islamique, enfant d’un père américain et d’une mère irakienne
- Mathias P
- 3 janv. 2016
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Au cœur d'un Proche Orient vacillant sous les violences et l'instabilité politique, une organisation se taille la part du lion médiatique. L'Etat islamique, connu aussi sous son patronyme Daech, s'affirme en effet peu à peu comme la force terroriste de la région. Ce groupe sunnite inconnu du grand public il y a peu, fait maintenant frémir l'Occident tout entier. Tentative d'explication de l'ascension irrésistible de cette véritable armée islamiste.
L'organisation se crée et se développe tout d'abord par opposition à l'invasion américaine de 2003 en Irak. Les résistants à l'offensive se rassemblent et s'unifient progressivement. Ces combattants sont d'origines diverses. Des irakiens désireux de protéger l'intégrité territoriale de leur pays mais aussi des djihadistes affluents des pays voisins afin de combattre l'étranger impie. Ainsi, la « guerre contre l'Axe du Mal » chère à Georges Bush et son administration montre ses limites. Elle se révélera à moyen terme contre-productive en radicalisant les populations locales. L'invasion américaine est vécue comme une humiliation par le peuple irakien et comme l'expression d'un néo-impérialisme occidentale. Les groupes terroristes n'ont plus qu'à récolter le fruit d'une graine de haine plantée par cette intrusion. Paradoxalement, la guerre contre le terrorisme, le renforce.
Daech fait sécession
A cette époque, l'Etat islamique reste avant tout le prolongement d'Al Quaeda en Irak. Cependant, l'organisation va rapidement prendre ses distances avec la « maison mère ». Ayman al-Zawahiri, successeur de Ben Laden n'a en fait jamais réussi à asseoir son autorité sur Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’organisation depuis 2010 et aujourd’hui auto proclamée « calife » de l’Etat islamique. Le divorce fut définitivement consommé par le désaveu officiel de l'organisation par Al Quaeda en février 2014. D'une excroissance sans envergure internationale, le petit frère irakien se transforme progressivement en ogre indépendant et incontrôlable. Le mérite de ce développement inattendu ne revient pas forcément à l'organisation elle-même mais plutôt a des concours de circonstances politiques. Autrement dit, Daech a su profiter d'un contexte favorable. Notamment sur deux fronts : en Irak même, surfant sur une vague de frustration des populations sunnites et en Syrie, profitant de la guerre civile qui y fait rage.
Si l'intrusion américaine a permis la création de l'organisation, son renforcement est l'œuvre du gouvernement irakien lui-même. En effet, Nouri Al-Maliki, premier ministre irakien chiite, mène depuis son ascension au pouvoir en 2006 une politique particulièrement discriminante envers les sunnites. Là encore, c'est le levier universel de « la guerre contre le terrorisme » qui est instrumentalisé par le premier ministre. Comme Georges Bush avant lui, ce motif est repris pour justifier des politiques liberticides. C'est ainsi qu'exactions et arrestations arbitraires se sont vus multipliés. Toute opposition sunnite, toute forme de contestation furent accusées de terrorisme et écartées dans la violence. Nouri Al-Maliki a dès lors contribué à la création d'un « effet martyr » qui tombait à point nommé pour l'Etat islamique. Un flot de sunnites frustrés, stigmatisés, a décidé de rejoindre les bras accueillants de l'organisation. Cette conjoncture explique d'ailleurs la prise relativement aisée de Mossoul et des environs. La population a entrevu les membres de Daech comme les libérateurs d'une puissance opprimante plutôt que comme des mercenaires extrémistes et violents L'Etat islamique n'est donc pas forcément le déclencheur des affrontements entre sunnites et chiites dans la région mais en est plutôt une conséquence. C'est le gouvernement irakien qui a réveillé les démons confessionnels, récupérés par la suite par l'organisation terroriste.
Autruche occidentale

Les gouvernements occidentaux peuvent regretter un certain manque de lucidité, voir même d'une coupable passivité dans l'appréciation de la situation politique en Irak. Les Etats-Unis ont mis à bas le sunnite Saddam Hussein avant d'accorder un soutien inconditionnel au chiite Al-Maliki pourtant tout aussi sectaire, despotique et clientéliste que son prédécesseur. Les oppresseurs sont devenus les opprimés, les dominants, les dominés. Le cercle de la frustration a repris son train. La longue litanie de la haine a pu continuer. Si les politiques et les médias (et de facto l'opinion publique) se réveillent à l'heure actuelle pour les minorités kurdes et chrétiennes, un silence coupable régnait concernant le régime irakien, ses dérives et le traitement réservé aux sunnites. Le premier ministre irakien a pu continuer à se vendre auprès des puissances occidentales comme le pourfendeur du terrorisme et appuyer sa légitimité sur une élection « démocratique ». Cette élection, loin d’exprimer la volonté du peuple irakien, reflètait plutôt selon Peter Harling « le vote hystérique d’un pan de la société et le boycott funeste de l’autre ». Lorsque Al-Maliki organisa en mars 2014 une conférence sur le lutte contre le terrorisme, l'ONU et les pouvoirs occidentaux étaient au premier rang pour l'applaudir, ne se souciant guère de se cachait ce programme...
Dans un deuxième temps, L'Etat islamique gagnera ses lettres de noblesse grâce à la guerre civile syrienne. Les deux pays sont en effet limitrophes et les frontières très peu contrôlées car trop loin du pouvoir central de Bachar El Assad. C'est l'opportunité parfaite pour l'organisation terroriste en quête d'expansion. Elle en profite pour venir renforcer l'opposition qui ne se fait pas prier pour accueillir ces hommes formés qui pourraient venir peser lourd dans la balance. L'Etat islamique acquiert alors une renommée internationale dans son rôle d'opposant numéro un au régime. C'est à cette occasion qu'un nombre grandissant de djihadistes en herbe vont affluer vers la Syrie pour grossir les rangs de l'organisation, galvanisés par le désir de mettre à bas le régime dictatorial de Bachar El-Assad.
Efficace et ambitieux
Néanmoins, il serait faux de dire que l'Etat islamique doit son développement uniquement à ces facteurs extérieurs. L'organisation peut se féliciter de son avancée qui est aussi due à une stratégie dite de « consolidation ». Ce choix délibéré et savamment pensé est une des distinctions principales qui peut être faite entre l'Etat islamique et Al Quaeda. Alors qu’Al Qaeda suit une stratégie de djihad global et mondial, Daech a affiché jusqu'ici des ambitions purement régionales. L’objectif d’Abou Bakr al-Baghdadi est de bâtir un califat sunnite, couvrant la Syrie, l’Irak, la Palestine, la Jordanie et le Liban Contrairement à ce que peuvent faire penser les messages propagandistes de l'organisation, le but n'est pas de fomenter des actions terroristes dans le monde entier. L'optique est de grignoter peu à peu du territoire au niveau local et de s'assurer de son contrôle. Un pragmatisme jusqu'ici couronné de succès puisque l'Etat islamique impose sa loi d'une main de fer sur les territoires qu'elles occupent. Cependant, tant la rhétorique antioccidentale que les exécutions spectaculaires des journalistes, peuvent laisser croire qu'un changement de doctrine s'opère peu à peu au sein de l'organisation pour s'orienter vers une version plus mondialisée du djihad...
Dénouer le noeud gordien
Il apparaît maintenant assez clairement que la situation régionale est un dangereux mélange multiconfessionnel. Entre un pouvoir chiite irakien opprimant sa population sunnite, une révolution syrienne majoritairement sunnite face au pouvoir alaouite, l'Iran chiite jouant des coudes pour favoriser les milices de la même confession et le rôle ambigu des nations sunnites tels que la Turquie ou l'Arabie Saoudite. Au milieu de ce champ de bataille politico-religieux, l'Occident doit se montrer cohérent dans ses prises de position. Une intervention militaire contre l'Etat islamique pour contenir son avancée est justifiée. Pour autant, les guerres contre le terrorisme, basées sur une approche purement militaire, se sont avérées inefficaces par le passé. Elles contribuent plus à alimenter le cercle vicieux de l'intégrisme qu'elles ne le détruisent. Elles sont l'occasion parfaite pour les groupuscules islamistes de pointer du doigt l'impérialisme des puissances occidentales. Il s'agirait de tirer les leçons des dernières incursions et d'établir une vision plus globalisée. Plus particulièrement, il est avant tout nécessaire de se remettre en question sur les soutiens inconditionnels de nos hommes politiques à des régimes semeurs de haine, terreau du terrorisme. Si un retour rapide à la paix semble utopique dans la région peut-on espérer des prises de positions qui ne seraient pas uniquement dictées par des intérêts géostratégiques et économiques de la part de nos gouvernants ?
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