Libor, le scandale qui ne dit pas son nom
- Aurian de C
- 29 nov. 2015
- 6 min de lecture
De nombreux scandales ont émaillés ces derniers temps les actualités économiques et financières remettant une fois de plus en question une certaine déontologie attendue de la part des banquiers et autres acteurs du monde de la finance.
Parmi les plus retentissants, il y a évidemment eu les « Leaks ». Le SwissLeaks en premier lieu, qui a mis au jour un gigantesque système international de fraude fiscale et de blanchiment d’argent organisé par la banque britannique HSBC à partir de la Suisse ou encore le Lux leaks qui a révélé des centaines d’accords fiscaux préalables extrêmement avantageux avec le fisc luxembourgeois négociés par PwC pour le compte de nombreux clients internationaux. Ces différents scandales ont accéléré une régulation du secteur visant à mettre un terme au sacrosaint secret bancaire et à réduire les différentes possibilités d’optimisation fiscale proposées aux grandes multinationales.
A ces différentes révélations sur les travers des marchés financiers, s’ajoutent encore d’autres affaires qui mettent davantage de piment dans les pages financières.
On pense bien évidemment à BNP Paribas qui a été condamnée par la justice américaine à payer 9 milliards de dollars d’amende pour avoir violé plusieurs embargos. En effet, BNP Paribas a effectué des transactions en dollars avec des pays sanctionnés par les USA comme l’Iran, le Soudan et Cuba à travers sa filiale New-Yorkaise.
Mais la banque qui décroche la palme dans ce domaine est sans conteste HSBC qui semble être passé maître en matière de scandales. Accusé d’avoir facilité des opérations de financement des groupes terroristes ou encore d’avoir blanchi les profits des cartels mexicains liés au trafic de stupéfiants, la banque aura finalement décidé d’accepter une transaction pénale en payant un montant de 1.9 milliards de dollars aux autorités US afin de mettre fin aux poursuites. Plus récemment, HSBC a été soupçonné d’avoir favorisé l’évasion fiscale au bénéfice de ses clients, ce qui aurait abouti à une fraude fiscale de plus de 200 milliards d’euros dans toute l’Europe : chez nous, ce sont des diamantaires anversois qui auraient ainsi réussi à frauder pour près de 1 milliard d’euros. La banque ne semble malgré tout pas prête à renoncer à ses différentes pratiques pour le moins indélicates, ce qui peut se comprendre lorsque l’on sait que cela lui permet d’être rien de moins que la banque la plus rentable de la planète.
Au final, nous pouvons légitimement nous interroger sur la pertinence des sanctions actuelles et donc sur la nécessité d’une régulation accrue du secteur. En effet, malgré les amendes faramineuses infligées aux banques, elles restent toujours bien en-dessous des profits générés par les comportements délictueux dénoncés. Par exemple, la Société Générale a été condamnée à une amende record de 445 millions d’euros mais dispose d’une provision de 700 millions d’euros uniquement dédiée à supporter les poursuites judiciaires, à atténuer les sanctions pénales et à amortir l’impact des différents scandales sur l’image de la banque. De même, si le risque de perdre sa licence est toujours brandi par de nombreux états, force est de constater que cette menace n’a jamais été appliquée jusqu’à présent.
Le plus gros scandale de l’histoire de la finance
Mais le plus gros scandale qui ait bouleversé ces dernières années le monde de la finance est paradoxalement aussi celui dont on parle généralement le moins : j’ai nommé celui du Libor.
Si de nombreux scandales ont un gros impact au niveau de la réputation et de l’image des établissements financiers, ils n’ont que des conséquences financières limitées. A l’inverse, 2 crises retentissantes ont fortement mis à mal l’économie ces 10 dernières années : la crise des Subprimes et la manipulation du taux libor qui fut d’ailleurs découverte suite aux conséquences de la crise financière de 2007. Ces deux évènements-clé mettent en exergue un véritable dysfonctionnement au sein des marchés.
Mais qu’est-ce que le libor exactement ? Il s’agit tout simplement du nom générique pour désigner une famille de taux moyens auxquels les banques peuvent se financer sur le marché interbancaire (London Interbank Offered Rate). Ce taux revêt une importance capitale dans la mesure où il détermine le prix d’un grand nombre de crédits et de produits dérivés (FRA, Future, swaps) comme nous l’explique Frédéric Vrins, professeur de finance et d’évaluation des actifs financiers à la LSM.
Pour le calculer, la BBA (British Banker Association) demande aux banques d’encoder leurs taux tous les matins à 11 : 30 (London Time). Cela va permettre de collecter auprès d’un échantillon de 18 banques les informations nécessaires afin de savoir à quel taux chacune de ces banques peut emprunter auprès d’une autre afin de calculer une moyenne.
Là où apparait un souci, c’est que les banques qui servent d’échelle de mesure à cet indice ont commencé à discuter entre elles afin d’influencer la valeur de cet indice à leur avantage, en définissant par exemple un libor faible lorsque l’une ou l’autre de ces banques a besoin d’opérer de grosses transactions financières. Cela implique non seulement une collusion entre les banques mais également un abus de position dominante car les banques en question sont les plus importantes et vont influencer directement l’ensemble du marché.
De plus, cela ne va pas seulement influencer les transactions entre institutions financières, mais aussi impacter les consommateurs vu que les produits dérivés sont répandus dans tout le système financier. En effet, lorsque l’on contracte par exemple un crédit hypothéquaire à taux fixe, la banque va typiquement couvrir son risque en prenant un SWAP par lequel elle va échanger un taux flottant contre un taux fixe, de sorte qu’elle recevra toujours le taux flottant. Il en va de même pour de nombreuses entreprises et organismes publics tels que les municipalités aux Etats-Unis qui vont émettre des obligations pour lever des fonds et couvrir leurs risques en souscrivant à des produits de couverture.
Dès lors, l’exposition est énorme et la moindre variation du taux libor va engendrer des conséquences titanesques. Pour donner quelques chiffres, on sait que la manipulation de ce taux libor a obligé les municipalités américaines à emprunter à des taux moins avantageux, ce qui leur aurait fait perdre plus de 10 milliards. De même, on constate que l’exposition de la seule banque JP Morgan aux SWAP est de l’ordre de 50 milliards. Ainsi, pour une banque comme Citigroup, on estime qu’un changement minime de l’ordre de 1 point de base, à savoir 0.01%, pouvait engendrer des variations de plusieurs millions sur les revenus nets de la banque et un changement de 0.25% entrainerait des conséquences, en perte ou en bénéfices, se chiffrant à près d’1 milliard.
Pour résumer, l’ensemble du marché des produits spéculatifs pouvant être potentiellement impacté par une manipulation de ce taux est de 360 000 milliards. Ce qui a fait dire à Andrew Lo, professeur de finance au MIT, qu’il s’agit là du plus grand scandale de l’histoire financière.
Quid de la régulation ?
Les premières rumeurs qui ont permis de mettre à jour ce scandale ont été relayées en 2008 par le Wall Street Journal qui s’étonnait que les banques durement touchées par la crise des Subprimes puissent continuer à emprunter entre elles à des taux aussi bas.
A la même époque, le gouverneur de la banque nationale d’Angleterre, Mervyn King, a résumé la situation dans une phrase pleine d’ironie disant que « le taux libor représentait le taux auquel les banques peuvent emprunter mais auquel elles ne peuvent pas emprunter » dénonçant ainsi à quel point la situation était biaisée et risquait de mener à une situation insoutenable. Par la suite, cette manipulation s’est avérée être une réalité courante depuis le début des années 1990.
Mais alors qu’attendent les états pour réguler ? Certains efforts ont déjà été réalisés, notamment à travers la convention de Bâle III. Suite à cette convention mise en place par la BIS, Bank of International Settlements, en accord avec les acteurs du monde financier et sous la supervision des régulateurs nationaux et européens, différentes évolutions ont déjà vu le jour.
Un changement majeur est que dorénavant ce n’est plus la BBA qui collecte les informations auprès des banques mais bien le NYSE qui présente la qualité non négligeable de ne pas être directement lié aux banques en question. De plus, un échantillon beaucoup plus large de banques devrait dorénavant être utilisé afin de définir une moyenne plus large et de rendre la manipulation beaucoup moins aisée. Certains avancent même l’idée de lier cet indice à de réelles transactions : cela permettrait de vérifier que les valeurs annoncées soient effectivement en lien avec la réalité.
Malgré cela, des effets pervers peuvent survenir mettant en évidence la complexité de réguler un tel marché. Ainsi, exiger des banques qu’elles provisionnent davantage contre les risques de faillite de leurs contreparties afin de les rendre plus solides engendrera soit une baisse de leur rentabilité, les rendant donc encore moins solides, soit augmentera le cout de financement des entités si celui-ci est répercuté par les institutions financières. Dans une certaine limite, ce genre de proposition a aggravé la crise de la dette qu’ont connue de nombreux pays européens avant que les états soient finalement exclus de ce mécanisme. Il est donc fondamental de bien réfléchir à toutes les conséquences lors de la mise en place d’une nouvelle régulation.
Toutefois, cela reste un fort compliqué à affronter. Tout d’abord à cause de l’écrasant pouvoir de négociation et de lobbying des banques, mais également du fait des nombreuses implications et conflits d’intérêts qui se retrouvent au sein des marchés financiers.

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