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La fiche d'impôt de Caterpillar

En cette rentrée, tant académique que politique, il est difficile de passer à côté de la "bombe" qui a agité la Belgique ces dernières semaines et terni la fin des vacances de nombreuses familles carolos: la fermeture de Caterpillar à Gosselies. Parmi les nombreux commentaires qui ont émané du monde politique et journalistique, le thème de la fiscalité se retrouve souvent au cœur du débat.





Guerre des chiffres


Le géant américain aurait bénéficié, depuis de nombreuses années, d'un généreux cadeau fiscal, ne payant que quelques pourcents d'impôts des sociétés. "3% au lieu de 34%" (1). Presque un slogan, qui n'est plus inconnu pour personne. Cet angle d'attaque a été lancé par le PTB (Parti du Travail de Belgique), via son centre d'étude, toujours très en verve lorsqu'il s'agit de mettre en lumière les cadeaux accordés aux multinationales. Toutefois, et le parti d'extrême gauche l'admet lui-même, ces chiffres ne concernent qu'une filiale bien précise du groupe en Belgique, Caterpillar Group Services (2).


On pourra discuter de la rhétorique du PTB et de sa volonté de faire de ce cas particulier une généralité aux yeux de l'opinion publique (ce dont il se défend), mais la réalité des choses est donc sensiblement différente. En effet, Caterpillar paierait pas moins de 30% d'impôts des sociétés en Belgique (3). Ainsi, lorsque les différentes filiales opérant sur le site de Gosselies sont prises en considération, on remarque une "ristourne" bien moins importante que celle accordée à la seule Caterpillar Group Services, qui ne représente d'ailleurs que 6% du bénéfice de l'entreprise dans notre pays. Le Premier Ministre Charles Michel lui-même a déclaré "ne pas avoir accès aux données fiscales des individus et des entreprises" (4). Il est vrai que les entreprises comme Caterpillar opèrent selon une structure financière savamment étudiée, leur permettant d'optimiser le rendement fiscal, grâce à des transferts internes vers des filiales situées dans des paradis fiscaux. Des géants tels qu'Apple (5) ou encore Ikea (6) sont d'autres exemples marquants ayant fait couler beaucoup d'encre récemment. Cet état de fait n'est pas tant une dérive perverse du système qu'une illustration que la liberté économique prévaut sur le totalitarisme fiscal confiscatoire, mais nous y reviendrons d'ailleurs dans les prochaines semaines.


Le point sur la situation


Cependant, les données fiscales inhérentes à la Belgique sont bel et bien accessibles publiquement depuis le site web de la Banque Nationale de Belgique, via la Centrale des Bilans (7). Dès lors, nous avons épluché les comptes annuels des différentes entités du groupe Caterpillar actives en Belgique pour en proposer une synthèse la plus juste possible.

La première chose est d'identifier l'ensemble des filiales opérant en Belgique. Les comptes consolidés du groupe (également disponibles sur la Centrale des Bilans) nous offrent cette information: Il y a au total 8 entreprises appartenant à Caterpillar actives sur le territoire belge. Le tableau qui suit fait la synthèse des principales données fiscales de l'année 2015 pour chacune de ces sociétés.

Nous remarquons que si les chiffres avancés par le PTB concernant Caterpillar Group Services concordent, avec un taux effectif de 4.66%, les autres filiales affichent des taux beaucoup plus élevés. Outre les intérêts notionnels qui allègent la base imposable, le calcul de l'ISOC prend en compte les "dépenses non admises" qui, elles, viennent gonfler cette base. Ainsi, Caterpillar Distribution Services Europe en a fait les frais et affiche un taux effectif de plus de 39% par rapport à son bénéfice avant impôt, bien au-delà du taux légal de 33.99%. De la même façon, le Centre de Distribution de Wallonie a dû payer un - très faible - impôt alors même qu'il enregistrait des pertes. Bien sûr, et fort heureusement, il s'agit d'une particularité relativement rare. La plupart du temps, le taux se situe dans une fourchette allant de 24% à 34%.


Globalement, sur le sol belge, Caterpillar a donc payé non pas 3%, non pas 4%, ni même 30% mais bien 31% (30.98% très exactement) d'impôts des sociétés. Dire que Caterpillar ne paie presque pas d'impôts, ou que l'entreprise bénéfice de plantureux cadeaux fiscaux, n'est rien de plus qu'un mensonge. Certes, les 33.99% de taux facial ne sont pas intégralement payés. Mais le code des sociétés est pétri de subtilités, déductions, abattements, etc. qui font que très peu d'entreprises paient effectivement ce montant. Pour le profane, il est vrai que cette complexité peut être difficile à assimiler et une simplification du code ne serait sans doute pas de trop. Avant l'éclatement de l'affaire Caterpillar, le ministre des finances Johan Van Overtveldt (NV-A) avait d'ailleurs émis une proposition en ce sens, allant même jusqu'à briser tous les tabous en reconsidérant la place des sacro-saints intérêts notionnels (8).

Intérêts notionnels 101

Et ces intérêts notionnels tant décriés, que sont-ils au juste ? Pour bien en saisir le mécanisme, un petit rappel s'impose. Une entreprise dispose schématiquement de deux modes de financement: la dette ou le capital. Par des emprunts (bancaires, obligataires, etc.), les entreprises disposent d'un bouclier fiscal leur permettant de déduire les charges d'intérêts de leur base imposable. Un traitement de faveur que les intérêts notionnels ont pour but d’annihiler. En effet, la "déduction fiscale pour capital à risque", comme elle est également appelée, permet aux entreprises de déduire une charge d'intérêt fictive mesurée sur leurs fonds propres (9). Ce taux fictif, défini par le SPF Finance, est actuellement de 2.63% (majoré de 0.5% pour les PME). Le but est d'éliminer la discrimination et ainsi offrir un "level playing field" en matière de bouclier fiscal lié au mode de financement.

Toutes les entreprises enregistrées en Belgique peuvent bénéficier de ce système qui permet donc de réduire la base imposable, bien que dans les faits les multinationales et grosses compagnies en tirent un avantage absolu supérieur. Et c'est d'ailleurs bien une volonté politique. Bien qu'accessible à toutes les entreprises, les intérêts notionnels ont été mis en place dans le but d'attirer les multinationales sur le sol belge. C'est pourquoi le terrain est si glissant lorsqu'il s'agit de discuter de leur maintien ou non: une certaine forme de discrimination est apparue à l'encontre des PME ou Start-up, mais ces multinationales brassent également un nombre d'emplois conséquent.

ISOC & Charges sociales

Les cadeaux ainsi accordés à de grandes entreprises ont toutefois tendance à occulter un autre poste de dépenses fiscales: les charges sociales. Entre "cotisations patronales d'assurances sociales" et "pensions de retraite et de survie", la participation d'une société à l'effort social peut s'avérer bien plus conséquent que le seul impôt des sociétés ne le laisse supposer. Ainsi, dans le cas de Caterpillar, ce sont plus de 150 millions € de contributions sociales qui ont été versées pour la seule année 2015, incluant l'ISOC, les cotisations patronales ainsi que les charges liées aux pensions et pré-pensions. Le calcul n'est que symbolique, mais cela représente pas moins de 219% du bénéfice net avant impôt réalisé par le groupe en Belgique.

Ainsi, la réalité des choses montre que Caterpillar est très loin de l’image de resquilleur fiscal que certains lui ont volontiers donnée. Toutefois, il serait faux d’affirmer que la pression fiscale belge — qui figure toujours sur le podium européen — est seule responsable des événements tragiques qui secouent les travailleurs. En effet, une partie de l’activité de Gosselies sera délocalisée en France, pays lui aussi réputé pour fiscalité punitive.


Erreur stratégique


Si la direction de l’entreprise est restée particulièrement discrète quant à ses motivations, arguant une baisse de la production, les syndicats pensent détenir quelques clés. En Commission Parlementaire, ils font état d’une orientation stratégique désastreuse de la part du Management. Souhaitant probablement anticiper de potentielles futures normes environnementales, celui-ci a décidé de dédier le site de Gosselies à la construction de machines « eco-friendly » respectant les normes non contraignantes TIER IV. La coûteuse mise à niveau et l’augmentation de frais fixes ont fait grimper les prix des engins issus de la production belge, de sorte que les marchés africains et moyen-orientaux se sont tournés vers une concurrence moins verte, meilleur marché. Ce serait donc cette décision managériale qui aurait mené à une chute de plus de 40 % du carnet de commandes de l’usine de Gosselies. Les installations tournant constamment et largement en dessous de leurs capacités de production, couplées à la hausse des frais fixes (par définition, inévitables), ont provoqué une inquiétante baisse du chiffre d’affaires. De l’aveu même des syndicats, la situation ne pouvait être tenue bien longtemps (10).


Que retenir de la regrettable fermeture de Caterpillar ?


D’abord, le débat fiscal sur lequel la plupart des acteurs se sont focalisés se révèle être anecdotique lorsqu’il s’agit de faire la lumière sur les causes de ce départ. De fait, aucune partie prenante, que ce soient les syndicats ou la direction, ne s’y est aventurée.

Cela n’a pas empêché les observateurs de pointer du doigt le bilan fiscal de l’entreprise. L’extrême gauche en tête, condamnant un comportement indécent de Caterpillar, au regard des millions d’euros de cadeaux fiscaux qui avait été accordés au géant américain. Mais il s’agit là d’un paradoxe : si l’entreprise avait tant joui des intérêts notionnels et autres traitements de faveur, au point de rendre une fiche d’impôt vierge ou presque, pourquoi partir ? Certes, le taux plancher de 4 % qui a agité l’opinion et fait les gros titres est bien réel, mais ne vaut que pour une seule des huit filiales de Caterpillar sur le territoire belge. Lorsque sont cumulées chacune d’entre elles, le taux effectif approche les 31 %. Pire, en intégrant les dépenses en cotisations sociales et en pensions, la note du groupe grimpe à plus de 150 millions € pour la seule année 2015.


En définitive, bien que les injustices existent en ce monde, et qu’il faille les combattre, la fiche d’imposition de Caterpillar n’en est pas une, loin de là.

Sources:

(1) http://www.lavenir.net/cnt/dmf20130228_00275109

(2) http://ptb.be/articles/le-point-sur-la-fiscalite-de-caterpillar

(3) http://plus.lesoir.be/node/57836

(4) https://www.rtbf.be/info/economie/detail_caterpillar-a-t-elle-vraiment-beneficie-d-avantages-fiscaux?id=9395112

(5) http://www.lesechos.fr/monde/europe/0211255509594-apple-le-debat-sur-la-fiscalite-relance-en-irlande-2024657.php

(6) http://www.lefigaro.fr/impots/2016/02/14/05003-20160214ARTFIG00031-le-bricolage-fiscal-d-ikea-dans-le-collimateur-de-l-europe.php

(7) https://cri.nbb.be/bc9/web/catalog?execution=e1s1

(8) https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_le-ministre-van-overtveldt-abandonne-l-idee-d-une-taxe-sur-les-plus-values?id=9392100

(9) http://finances.belgium.be/fr/entreprises/impot_des_societes/avantages_fiscaux/deduction_interet_notionnel

(10) http://www.levif.be/actualite/belgique/pourquoi-caterpillar-quitte-t-il-gosselies/article-opinion-550741.html

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